mercredi 5 juillet 2023

Le laboratoire de SVT, un écosystème méconnu

       L’être humain, ce primate fascinant, pense avoir tout découvert sur la planète qui l’héberge accidentellement. De la savane, à la banquise en passant par les quartiers nord de Marseille, les scientifiques Homo sapiens ont étudié, disséqué, épluché -insérer un verbe du premier groupe au participe passé- tous les écosystèmes*. Tous? Non. Il existe encore des endroits hors d’atteinte que seuls quelques explorateurs téméraires maniant le scalpel comme ils manieraient une machette connaissent (je parle des profs de SVT bien sûr). Cet endroit méconnu du commun des mortels n’est autre que lieu d’hivernage d’un enseignant de SVT lors des rares pauses que leur offre le métier: le laboratoire.

L’article suivant présente les différents zones et acteurs qui composent cet écosystème. Voyons donc cela de plus près…


1. La zone intertidale* de l’évier : 


        L’évier est probablement le lieu le plus important d’un laboratoire de SVT. Il est régulièrement visité par un professeur pratiquant un rituel ancestral : la vaisselle. A noter que ce rituel est partiellement rémunéré ( certains anciens appellent cela « l’heure de vaisselle »). 

L’évier est un lieu qui peut être dangereux de par sa composition : tubes à essais douteux, béchers contenant de vieilles levures, odeurs dérangeantes, tasse à café qui colle au fond… La durée de vie des individus de cette niche écologique* peut parfois dépasser le mois, ce qui peut parfois engendrer des erreurs comme confondre la dite tasse de café avec le bécher de vieilles levures… Ce qui peut provoquer des désordres intestinaux à venir en cas de vaisselle incomplète.

Car oui, la vaisselle de la verrerie n’est pas aussi simple qu’on le pense. Chaque jeune padawan enseignant apprend l’art traditionnel du nettoyage des lames microscopiques et des éprouvettes grâce au vieux maître enseignant, blasé par 30 années de dos courbé devant l’évier.

      Tenez par exemple : pour nettoyer des éprouvettes, l’enseignant utilise un goupillon très fin. Il suffit de l’insérer dans le tube et d’effectuer un mouvement de va-et-vient énergique… restons dans le sujet s’il vous plaît… Certains diront que c’est comme les biberons : en effet, sauf que c’est plus étroit.



Je vous fais grâce des robinets qui fuient et de l’absence de savon, remplacé par la salive




2. Le biome* polaire du frigo :


          Le frigo (et congélateur) est très spécifique à la SVT, au point que son emplacement doit demeurer secret à tout l’établissement au risque de voir des intrus y entreposer leur déjeuner. Dans la partie réfrigérateur, la température avoisine les 4 degrés Celsius, ce qui permet, comme chacun le sait, de conserver moulte denrées périssables. 

Cependant, le réfrigérateur du laboratoire est malheureusement pauvre en diversité : un bêcher de levures (fraîches cette fois ci) partage cet espace avec le sandwich de la collègue. A noter que cette pratique est rigoureusement interdite par mesure d’hygiène, car il est bien connu qu’un professeur de SVT ne sait pas faire la distinction entre des tranches de pain et un bocal rempli de liquide gris. Mais je suis mauvaise langue, car parfois il y’a bien un Tupperware de macaroni servant aux travaux pratiques de digestion in-vitro. Et il est vite fait de retrouver son Tupperware vide juste avant la séance, les macaroni ayant été dévorés par votre collègue qui saute des repas à cause de l’inflation des prix de l’alimentaire. Mais c’est vrai, quand on y pense… quel gaspillage.


photo d’un probable sandwich




           La partie congélateur est tout aussi cruciale pour un enseignant de SVT. Les 4 degrés peuvent ne pas suffire, surtout si c’est pour dissimuler des morceaux de cadavre pour conserver de la viande commandée au mois d’octobre pour une dissection prévue en mars. Il conviendra de s’assurer à ne rien laisser dans le congélateur durant les congés d’été (les fameux 3 mois qu’un certain président de la république a évoqués). Car si jamais une coupure de courant survenait, vous transformerez alors le frigo en objet maudit et le bâtiment tout entier deviendrait une zone d’exclusion qui relèguerait Tchernobyl à un bac à sable. Et on se souviendra aussi de vous…



3. L’Espace Naturel Sensible (ENS) de la collection oubliée :


         C’est un lieu mythique. Certains enseignants de SVT racontent (souvent après avoir bu le bécher de levures) avoir vu une collection d’os une fois dans leur carrière, et ne plus l’avoir revue ensuite. C’est un peu le navire fantôme des récits de pirates : la collection oubliée est cette collection d’os, ou de roches, ou de vieilles lames qu’on ne voit qu’une fois et dont on oublie ensuite leur existence. Ce sont des objets utilisés autrefois lorsque le programme d’enseignement était bien différent (depuis il a changé une cinquantaine de fois, à chaque remaniement ministériel). 

A titre d’exemple, on peut trouver un fémur brisé d’être humain ou un lézard séché (certains collègues oseront dire que ce lézard venait de l’extérieur et s’est retrouvé par hasard dans une armoire). Pour ce qui est des roches, on peut tomber sur un morceau de charbon, ou du minerai de fer. Malheureusement, aucun enseignant n’est tombé accidentellement sur un grenat rouge ou un diamant (plus besoin de sauter les repas après).


On va garder quand même , ça peut servir dans le huitième remaniement ministériel prochain



4. La zone d’exclusion des produits chimiques :


           Même si le réfrigérateur ne tombe pas en panne, sachez qu’il existe tout de même un endroit dont il vaut mieux s’approcher avec prudence : l’armoire à produits chimiques. Naturellement, les produits chimiques utilisés en SVT ne sont pas tout aussi dangereux que ceux utilisés en chimie (la chimie, cette science qui consiste juste à mélanger des trucs et attendre de voir si ça explose). Cependant, on peut trouver de l’acide chlorhydrique ultra concentrée, de la chaux vive (pour les cadavres pour faire de l’eau de chaux), des enzymes, des colorants pas forcément alimentaires…

Tout comme la collection oubliée, il est possible de tomber sur un flacon ancestral rouillé dont l’étiquette est effacée, et dont le bouchon est bloqué par des dépôts blanchâtres suspects. Le professeur courageux n’hésitera pas à ouvrir ce flacon en grattant avec un scalpel, à observer le liquide qui fait 2 phases, et à éventuellement sentir. Tant pis si c’est du chloroforme (ce qui marche pour les cafards qui vont être disséqués marche aussi sur l’humain).


Étiquette signifiant que ça fait de jolis trous


5. Le cimetière des appareils collectors :


          L’obsolescence est partout. Même dans le laboratoire de SVT. Le cimetière des appareils collectors est le lieu où sont gardés des objets que les gens de moins de 30 ans ne connaissent pas : projecteur de diapositives, de films super huit, ou plus récent, le rétroprojecteur. Ils ont tous été lourdés par l’ordinateur et le vidéo projecteur. 

Étrangement, les enseignants savent que ces appareils sont là mais ne les utilisent jamais : est-ce par nostalgie? Ou ont-ils peur de la prochaine apocalypse qui pourrait ramener la civilisation à l’âge de pierre (de pierre mais avec de l’électricité quand même)? Non il y a 3 raisons à l’existence du cimetière :

  • la paresse de devoir trier la gigantesque collection de diapositives.
  • l’espoir de pouvoir vendre à très bon prix ces appareils de collection (la valeur d’un projecteur de diapositives étant passé de 2 roubles à plus d’une centaine d’euros. C’est un peu comme le rétro gaming).
  • Les dons de nécromancie des enseignants de SVT, permettant de faire fonctionner des appareils que l’on pensait hors d’usage.

On aurait pu ouvrir un vidéoclub SVT avec ça


6. La litière des productions d’élèves :


        Tapis au-dessus d’une armoire ou derrière celle-ci se trouve souvent un amas de feuilles ou plastique en tout genre : la litière des productions d’élèves. L’enseignant de SVT aguerri sait que certaines activités comme la production d’un panneau pour un exposé génère une quantité importante de feuilles devant être gardées ou jetées. Les rares productions élues seront alors affichées dans la salle de cours, ce qui peut avoir deux fonctions : une fonction pédagogique, et cacher un trou dans le mur.

Il est parfois difficile de se séparer de jolis panneaux en forme de papillon tout froufrouteux faits avec amour par des cinquièmes. Alors si on ne l’affiche pas, on le garde. Et cela constitue une litière, sauf qu’aucun collembole* ou lombric ne viendra décomposer tout ça.

Certains professeurs pédagogiquement ambitieux demanderont à leurs élèves de faire non pas un panneau mais une maquette. Le problème sera alors le volume que cela prendra dans la litière, au risque de faire ressembler votre coin de laboratoire en déchèterie.


Pour les ignorants qui parcourt cet article, c’est ça une litière en pédologie*


7. Le sommet de la chaîne alimentaire : l’enseignant de SVT :


         Il est un animal dont on a parlé tout au long sans vraiment s’y pencher : l’enseignant de SVT. Il est le seigneur de ce lieu étrange qu’est le laboratoire. C’est aussi son principal refuge. En effet, lorsque ce dernier se sent menacé (par des élèves récalcitrants, ou un réunion inopinée de la direction), il se planque dans le laboratoire. Et si possible, non loin de la collection oubliée (Pour qu’on l’oublie un temps). Un enseignant de SVT peut tenir un siège dans ce laboratoire : il va étancher sa soif dans la zone intertidale de l’évier, se nourrir de proies comme les macaroni de la collègue ou le bidon de glucose monohydraté avec les produits chimiques. Il pourra aussi éventuellement faire ses besoins dans la litière. Bref, si vous vous retrouvez dans un laboratoire de SVT, vous rencontrerez certainement cette espèce. Il n’est pas dangereux mais peut facilement vous inonder de paroles parfois difficile à saisir. Comme on utilise un carton pour faire diversion à un chat, vous pourrez alors utiliser un caillou ramassé dans la cour et lui demander ce que c’est. Et profiter de cet instant pour fuir. Il se rendra compte que 10 minutes plus tard de votre absence.




Cet article n’est qu’une partie émergée de ce que recèle vraiment cet écosystème. Certaines niches sont encore étudiées de nos jours, et risque d’évoluer au cours des années à venir. A noter que des safaris sont parfois organisés pour découvrir ces lieux mystérieux (certains appellent ça les « portes ouvertes »).



F.A.Q.


Est-ce que l’espèce enseignant de SVT est une espèce protégée ?


Le statut de conservation selon l’UICN est : préoccupation mineure. En effet, l’enseignant de SVT n’est pas menacée contrairement à l’enseignant de mathématiques, en voie d’extinction.


J’ai un animal de compagnie que je pensais être un chat. Il fait ses besoins dans la litière et aime les macaroni. Est-ce au final un prof de SVT ?


Pour en être sûr, il faut faire le test du caillou. Si vous lui tendez un caillou et qu’il commence à dire des choses comme : c’est un morceau de granite contenant du feldspath, du…. Votre animal est bien un prof de SVT. Si il se contente de renifler et de miauler, c’est un chat. Le test du carton ne serait pas concluant : un enseignant de SVT le prendrait pour la maquette ratée de Jean-Eustache.



Les enseignants ont réellement 3 mois de vacances ?


Non.



Est-il vrai qu’on peut faire de la meth dans un laboratoire de SVT ?


Pas vraiment. En SVT, on se contente de faire de l’alcool ( les levures…). Pour les autres psychotropes, il faut vous rapprocher des enseignants de chimie.




Lexique: 


Écosystème :

Pour faire simple, un écosystème est composé d’un ensembles d’organismes vivants différents (biocénose) qui interagissent entre eux mais qui interagissent aussi avec leur milieu de vie défini par des paramètres physiques (biotope). Les interactions entre les organismes sont variées : prédation, mutualisme, parasitisme, symbiose, etc…


Zone intertidale :

La zone intertidale (ou Estran) est une zone du littoral qui se situe entre la limite des plus hautes et des plus basses marées. Elle a ses propres caractéristiques sédimentaires et écologiques. Par exemple, on peut y trouver des organismes comme des mollusques vivants fixés (moules, patelles…). Elle est subdivisée en 3 parties.


Schéma d’une Zone intertidale silico clastique (image université de Picardie)



Niche écologique :

C’est la place qu’occupe une espèce (en général, car on peut définir cela à l’échelle d’une population) au sein d’un écosystème. Pour occuper cette « place », il doit y avoir des paramètres physiques et chimiques bien déterminés mais aussi des paramètres biologiques (présence ou non d’un ou plusieurs autres organismes).



Biome:

Les joueurs de Minecraft, taisez-vous.

Un biome est une zone géographique plus ou moins grande (cela va du microbiome à la biosphère entière) caractérisée par un climat particulier et une faune et flore particulières. La savane est un exemple de biome.




Collembole :

Les collemboles représentent une classe d’arthropode, autrefois rangée chez les insectes, mais qui  est rangée chez les hexapodes ( les hexapodes ne sont pas forcément des insectes alors que l’inverse oui : le critère principal étant les pièces buccales). Ils sont très petits (rarement plus de 3mm) et vivent dans le sol (litière et humus) en participant activement à la décomposition de la matière organique.

Un collembole (image CNRS)




Pédologie :

C’est la science des sols, de leur formation et de leur évolution.




































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